samedi 10 septembre 2016

la nuit putain je n'oublie presque rien

Un an ici. On avait marché sous le soleil, timides arrivés dans cette ville qu'il me faudrait apprivoiser, mais ses pas dans les miens je me sentais capable de conquérir le monde. On avait visité des appartements biscornus, mal fichus, et puis la dame de l'agence avait dit, au fait, j'en ai un autre à vous montrer si vous voulez bien, et on avait eu le coup de foudre, boum, pour la cheminée et le grand miroir dans la chambre, pour le salon immense et baigné de lumière, pour les travaux qu'on y ferait ensemble, pour les murs qui n'attendaient que les petites choses accumulées avec soin depuis des mois. Avant de rentrer à Paris on avait bu une grande bière à la terrasse de ce bar devant lequel je passe chaque matin chaque soir, et j'y pense toujours, un an après, à cette joie qui nous habitait. À l'excitation à l'idée de ce qui arrivait. On avait repeint en blanc, aménagé la chambre, posé une plante sur le faux parquet et dîné des pâtes et des smoothie dans le grand lit qui sentait encore le poivre, un soir de septembre, le premier ici. Un automne pour s'installer. On avait découvert ce bistrot au bout de ma rue qui aura été le fil rouge de ma première année, et qui va fermer ses portes dans les jours à venir. Notre burger inscrit à la carte, et tous les gens de passage qu'on aura emmené le gouter. La veille du tout premier jour à l'hôpital l'angoisse et la boule au ventre comme si j'avais eu six ans et que c'était la rentrée. Et puis l'hiver trop sombre, la violence des premiers mois seule, et les soirées que je passais hagarde sur le canapé du salon sans savoir quoi faire de moi même. Nos week end de retrouvailles et les chocolats chauds pour reprendre du courage avant de rentrer le dimanche soir, les larmes dans la noir de l'autoroute, les heures au téléphone à raconter chacune des histoires de patient que je croisais et qui m'épataient encore. La difficulté à s'intégrer au travail quand la torpeur m'envahissait et que je peinais à être juste là. La découverte pas à pas de C. et son amitié précieuse qui a permis tant de soirées gaies au milieu du brouillard. Et puis un jour, changer de stage, grandir d'un semestre, réchauffer l'engourdissement, se retrouver soi. Il y a eu ce printemps si joyeux, la vie l'envie qui revenaient en moi, le sourire qui se dessinait quand mon réveil sonnait, l'impression d'appartenir à quelque chose, et tout cet accomplissement que j'essayais de partager. La gratitude pour ce quotidien - presque - parfaitement à mon goût à mes souhaits, avec juste un peu plus de lui ça aurait été mieux, mais j'étais si heureuse. Et si vous saviez comme c'est précieux, d'être sure aujourd'hui que j'ai été consciente de cette chance quand je la touchais du bout des doigts. Les quelques après midi à la plage, la découverte du marché, les soirées en terrasse, l'impression d'enfin délier mes bras et jambes dans cette ville que je commençais à faire mienne. Toujours nos retrouvailles, un peu plus compliquées, certes, mais son sourire au réveil et nos mains serrées qui valaient tous les week end du monde à travailler, pour profiter encore plus du goût de ceux ensemble. Et puis un jour, comme ça, comme de rien, les litres de larmes et d'eau salé. Les vacances qui ressemblent à une drôle d'épreuve au lieu du repos attendu, les journées seule à ruminer les souvenirs qui reviennent par flash la nuit le jour, le poids qui écrase les épaules, en attendant le moment où. Les matins sans pouvoir se lever, la douleur sourde, et l'épuisante incompréhension. L'été invincible mais l'impression de ne jamais avoir eu tant de tristesse en moi. Et puis les premiers matins sans flancher, la douleur comme un petit caillou au fond du bide, qui se fait oublier parfois, pas encore assez souvent.

Un an ici, un an à moi, toute seule, un an que je ne sais plus dormir, un an un peu piquant, un an où j'ai grandi comme en dix. Un an parfois un peu lourd à porter, quand on doit s'agenouiller toute la journée pour faire rire des enfants.