lundi 3 août 2015

La division du rêve

La douleur, d’abord, quand je vois le chiffre apparaître devant mes yeux. La douleur sourde qui part du ventre et s’étend de haut en bas, jusqu’au bout des orteils, et l’impression que tout (me) brûle. Non, non, c’est pas possible, je murmure, évidemment, et évidemment que si, c’est bien mon nom, là, à côté de ce chiffre là, ce chiffre bien trop bas, ce chiffre que je n’avais même pas imaginé, ce chiffre qui va m’accompagner pendant les prochaines années, et qui pourtant ne représente rien du tout du travail accompli. Classement de merde. Se lever engourdie, descendre quelques marches et dire à voix basse j’ai raté à ma mère, ne pas lui laisser le temps des paroles réconfortantes, remonter en courant me prostrer dans ma chambre et laisser arriver la colère. L’évidence qui s’impose comme un mécanisme de survie – tant pis je ferai médecine générale à Paris - je ne quitte rien, je ne renonce pas, je me réoriente juste, c’est pas grave, c’est pas grave. Comme dans du coton faire semblant de fêter ça, fêter quoi ?, boire du champagne et manger des sushis, lire la tristesse dans les yeux de mon amoureux et détourner le regard, faire comme si ça avait des avantages de se louper, en rire même. Si vous saviez comme j’aurais voulu les rendre fiers.

Et puis le lendemain, laisser la vague revenir (ou se la prendre en pleine gueule). Le silence de ceux qui devraient être là, les mots maladroits de ceux qu’on n’attendait pas, les reproches – déjà -, alors passer la journée à grignoter de la patacookies pas cuite, hagarde, la radio en bande son couverte par la chouinerie. Se répéter en boucle tout ça pour ça et jurer formellement de ne jamais plus encourager personne à travailler avec acharnement puisque ça ne sert à rien. Réaliser que mon idéal de petite-vie-parfaite n’aura pas lieu, qu’il va falloir réinventer, réfléchir, faire autrement. C’est pas grave, ou peut être que si quand même.

Et puis une semaine après, entendre des mots qui d’un coup font pencher la balance. Oui, du jour au lendemain. Si je le veux je peux partir dans une autre ville, si petite et pluvieuse soit-elle, faire la spécialité dont je rêve depuis que j’ai commencé médecine. Si je le décide je passerai mes journées à faire quelque chose que j’aime – et mes nuits à chialer d’être seule et loin. Celui qui bouscule l’ordre établi ne parle pas de la province – si chouette - ni de « ton rêve » - « tu vas pas l’abandonner quand même ! », mais de place qu’on décide de laisser au travail dans la vie. Il n’y a pas de à tout prix, il y a seulement celui qu’on décide de donner à chaque chose. Et dans mon tableau de plus et de moins, le mot pédiatrie est écrit en police 30 et il semblerait qu'il compense tous les abandons auquel il est associé. 

Et puis un mois après la douleur s’est un peu estompée – pas la colère. Je conchie ce système de classement mais j’ai décidé de ne pas accepter les tant pis. Je ne peux toujours pas mener ma vie comme je le souhaitais mais je choisis de lui faire un pied de nez et de m’adapter à ce qu’elle me laisse comme porte de sortie. Eh, je vais pas me laisser faire, t'entends ? 




Ps : promettez-moi d’empêcher vos enfants de faire médecine – à tout prix cette fois ;)

Pps : si vous vivez dans une ville de province petite et pluvieuse n’y voyez là aucune insulte, et parlez-moi donc des salons de thé charmants qu’on y trouve