dimanche 24 novembre 2013

Il reste toute la vie pour réussir

On est tous rassemblés dans ce salon pour fêter des anniversaires, mais j'ai plutôt l'impression que ce qui nous lie c'est cette peine indicible, indescriptible, cette peine qui se devine dans les yeux un peu rouges au moment d'ouvrir la bouteille de St Amour, "pour mon amour", de savoir qu'il va falloir une nouvelle fois accepter de laisser partir quelqu'un qu'on aime. Comme un fil tissé entres nos cœurs qui tire un peu dès qu'on y pense, et comment ne pas y penser quand on lit dans ses yeux le découragement et qu'on voit dans ses mouvements qu'il n'est déjà plus complètement parmi nous. La dame avec qui je parle une heure un samedi sur deux me dit qu'il faut pleurer, que ça fait partie du deuil. Mais pour tous ceux qu'on a vécus ensemble dans cette drôle de famille que les maladies semblent aimer grignoter, on m'a toujours demandé d'être forte et de ne pas pleurer, pour les autres. Alors lorsqu'une larme me prend par surprise et s'écrase, ploc, sur mon bureau ou mon jean, j'ai l'impression qu'elle contient les litres de tristesse qui ne sont jamais sortis depuis que la mauvaise série de départs a commencé. Des larmes concentrées, peut être. 
La dame me parle beaucoup de cette petite fille que j'ai été et de ces choses dont je dois me libérer, maintenant qu'il semblerait que je sois une grande, pour être pleinement moi. Il faut désapprendre ces préceptes sur lesquels je me suis construite et qui m’engoncent désormais, mais je crois que j'ai de fâcheuses tendances à m'y sentir rassurée dans ce "sois forte", parce que c'est comme ça que je fais depuis vingt trois ans, parce que c'est ce que les autres attendent de moi, parce que ça permet de ne pas trop m'écouter ; bien que je sache à présent qu'il ne me permet que de m'auto-saboter. Mais, mais, la réparation-reconstruction est en marche. 



vendredi 1 novembre 2013

Des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse

C'est à chaque fois un peu plus difficile de le laisser tourner les talons une fois arrivés devant la porte de chez moi en rentrant de quelques jours en amoureux. Son dos qui trouve naturellement sa place tout contre le creux de mon ventre, ma bouche dans le bas de son cou si chaud, nos mains qui se serrent fort au moment de sombrer dans le sommeil pour essayer de retenir les cauchemars qui m'assaillent souvent la nuit me manquent quand je retrouve mes draps froids. Les retours à Paris sous la pluie sentent le réveil qui sonne avant le lever du jour et il n'est pas là pour sourire à mes yeux qui émergent péniblement, pas là pour recueillir mes larmes quand je ne comprends plus rien, ne retiens plus rien, ne veut plus rien faire ou tout laisser derrière moi, pas là pour le thé de dix-sept heure qu'il me réclame désormais. & le thé toute seule, ça a moins de saveur vous en conviendrez, et les joues rouges de froid ça n'a pas d'intérêt si ce n'est de se les faire embrasser. 
Cette nuit j'ai fait un de ces rêves immense, de ceux qui durent toute la nuit et entourent la tête de brouillard au réveil. J'étais enceinte et dans un couloir d'hôpital peint en jaune beurre, mon enfant à naître devait être une fille mais s'avérait finalement être un garçon appelé Théo parce que je ne connaissais aucun autre prénom, je l'emmenais dans une immense maison mais un homme recouvrait son tout petit visage de linges rouges pour qu'il dorme et il ne respirait plus quand je le découvrais. Je crois que j'ai peur de lire les prénoms sur la feuille du staff de lundi matin, quand je retrouverai le service chaud et sombre de réanimation. Je voudrais que tous les disparus des petites couveuses aient retrouvé les bras de leurs parents mais je sais malgré moi que parfois la vie ne retient pas ceux dont la main fait la taille de la première phalange de mon pouce. Alors je (me) raconte des jolies histoires d'étoiles, d'enfants qui en accueillent d'autres loin de ces services où leur cœur a cessé de battre. Cette semaine une toute petite fille de cinq ans les a rejoint, avec son crâne chauve et ses paillettes plein les yeux. C'est un peu pour elle que demain je vais me replonger dans les livres, pour un jour pouvoir dire à un autre petit enfant que son cœur ne s'arrêtera pas dans un service d'oncopédiatrie, pas cette fois, qu'il s'arrêtera de battre dans mille ans, au moins. 
De mes draps froids j'entends la pluie fouetter contre la vitre les feuilles de la vigne vierge, hello november