vendredi 31 mai 2013

Même au siècle prochain j'en parlerai encore

Mai. Ce mois en pointillé, découpé entre les deux stages [celui où on voudrait rester, celui où on voudrait ne pas trop mettre les pieds]. Ce mois qui teste notre résistance en nous envoyant des litres de pluie sur le visage, des gouttes qui font friser les cheveux et rougir les joues quand je cours le matin pour ne pas arriver en retard au staff. La pluie, toujours, quand je sors de ces heures de bloc passées debout à lutter contre moi même pour ne pas demander à sortir tant j'ai mal au dos, qui me donne l'impression que rien n'a bougé depuis tout à l'heure et que c'est bon, allez, on peut commencer la journée. Mai et les kilomètres passés dans ma voiture, moitié fierté de cette liberté nouvelle, Vanessa Paradis à fond et fenêtres ouvertes, moitié à pousser des hurlements à chaque difficulté.
Juin et le week end à Etretat qui approche à grands pas, les idées folles de ces villes nordiques si jolies en photo qu'on aimerait aller voir en vrai et en amoureux. 
Septembre. Septembre dernier dont je parle comme si c'était hier, il y a quelques semaines ou au plus deux ou trois mois. Je n'arrive pas à croire qu'on a déjà fait le tour du cadran depuis ces journées ensoleillées à profiter, trainer, flâner. Il y a presque un an je me découvrais, j'apprenais à me considérer comme une vraie personne de qui il faut s'occuper, de qui il faut prendre soin, et pas seulement comme une enveloppe corporelle qu'on ballade au grès des vents. Septembre, mon an zéro. 
Il y a presque un an aussi j'écrivais le premier article sur ce blog, un soir pluvieux de juin, pour déverser en mots cette énergie que je sentais renaître au creux de mon ventre. Je n'aurais pas cru que des gens me liraient depuis, resteraient dans ces pages. Si vous me laissiez un tout petit mot pour l'occasion juste pour dire que vous êtes passés par là j'avoue que ça me réchaufferait les matins de pluie. Alors...

mardi 14 mai 2013

Au départ au départ c'est toujours le mois de mai

Le bruit de mes ballerines et celui des talons de ma mère sur les pavés d'un trottoir parisien. On va être en retard au concert d'Alex Beaupain parce qu'on est allées boire des bières au lieu de se faufiler dans la queue mais on rigole comme deux copines en courant entre les passants. Elle blague avec le monsieur qui vérifie les billets et je la trouve à l'aise, plus détendue que ce qu'elle montre habituellement. En cherchant notre place dans la salle on se demande si sa blogueuse préférée pourrait être là, et elle y est (!), deux rangs devant le notre. Son sourire quand elle revient s'asseoir près de moi après être allée lui parler, et l'instant où je perçois des paillettes dans ses yeux sont précieux, très. Pendant l'entracte on parle des choses qui nous font peur et je réalise que moi qui d'habitude ne répond que "des-guèpes-et-des-chiens" j'ai plein, plein plein, de peurs. La plupart comment par le prénom d'un garçon et je voudrais les effacer d'un coup de chiffon, quand même, se tordre le ventre et se fendre la tête avec ces interrogations, quand même, ça serait plus simple sans. Guéris toi vite de tes peur, ne deviens pas comme moi malade d'angoisse, elle me dit. 

Dans le bus qui rentrait d'Amsterdam, mon casque blanc sur les oreilles et les yeux rivés sur les immenses champs jaunes qui brillaient sous la pluie, je pense à ce drôle d'âge qui est le mien. On me l'a demandé deux fois durant le week end et j'ai répondu vingt ans, les deux fois. Je suis bloquée là bas, je crois que les chiffres qui s'ajoutent me semblent trop grands. Le syndrôme de Peter Pan, j'ai toujours aimé cette expression, certains jours peut être, et pourtant j'ai l'impression d'avoir plus grandi en un an qu'en toutes les années dont je me souviens (il faut dire que j'ai tendance à oublier les années passées, les souvenirs heureux s'effacent plus vite et c'est souvent mon amie L. qui doit me les raconter à nouveau, en pestant un peu). Je ne sais plus combien j'ai d'hivers derrière moi, mais pour la première fois je crois je n'ai pas peur des prochains. Quand on me demande ce que je veux faire quand je serai grande je connais ma réponse et je n'écoute pas ceux qui disent que c'est difficile/pas pour une fille/incompatible avec une famille. Je verrai bien et ça ira, hein ? 

J'attends patiemment les rayons de soleil, je profite de ces semaines étranges où je ne suis pas submergée par les cours à ingurgiter (je veux dire, j'ai des cours à ingurgiter, mais les excuses pour ne pas le faire gagnent en ce moment), je cuisine des gateaux à la banane et des mousses au chocolat, je vais nager et je redécouvre le plaisir de sentir que mes muscles ont travaillé, je laisse couler les jours entre mes doigts, juste un peu, le temps de profiter. 


dimanche 5 mai 2013

Un pantalon vert en papier taille M, un haut vert en papier taille S, mes indispensables bas de contention tout sauf sexys, un débardeur caché sous le tout pour ne pas trop grelotter, les crocs oranges taille 42 puisqu'il ne restait qu'elles, une charlotte verte qui étouffe mon chignon, un masque bleu attaché pas trop serré pour ne pas étouffer, ajusté sur le nez pour ne pas le perdre quand je baille. Quand s'ouvre la porte coulissante, après les mains décapées par le savon et la brosse et les deux passages de gel hydroalcoolique, une casaque taille M bleue, je fais attention à ne rien toucher, une première paire de gants taille six-et-demi-silvouplait-merci, le noeud de la casaque stérile et la deuxième paire de gants.   
Je me faufile à ma place près de l'interne, on m'amène une petite estrade sur laquelle je me hisse, la tête dévissée pour essayer d'aperçevoir quelque chose. Les mains entre le nombril et les seins, pas en dessous ça désterilise, pas au dessus ça désterilise, il ne faut surtout rien attraper, laisser tomber ce qui glisse, ne pas frôler de trop près les anesthésistes ou les panseuses. 
"Mais elle s'endort l'externe ?". Non je ne m'endormirai pas, je vais tenir je vais tenir je vais tenir, je suis à côté de vous qui ne me parlez pas et je pense, je réfléchis, j'imagine des choses. Je ne peux pas vous poser de question parce que je ne saurais même pas quoi demander, je ne comprends absolument rien, je ne sais même pas où on est dans le ventre du patient je ne sais pas pourquoi il est sur cette table même si j'ai vu le titre de l'opération. Quand je suis entrée il était endormi, quand je sortirai il ne sera pas réveillé, je n'entendrai jamais sa voix et ne retiendrai pas son visage. 
Quand l'horloge transforme les secondes en heures interminables et que le seul bruit du bistouri électrique ne suffit plus à maintenir ma tête dans la pièce je descends de l'estrade et vais relire le dossier, et je cherche les analyses psy, les évaluations des aidants, les interrogatoires de la famille, le consentement éclairé du donneur qui explique toutes les raisons qui l'ont poussé à donner un bout de ses organes pour garder en vie près de lui celui que le chirurgien découpe. Tout ce qui peut rendre un peu d'humanité au corp ouvert et plein de sang, pour retrouver des histoires, pas seulement des organes. 
Je comprends qu'on puisse aimer ça, ouvrir-découper-brûler-recoudre, agir directement sur le patient, être minutieux et prendre le temps, mais moi j'ai besoin de parler, de créer un contact avec les gens et d'échanger ; je m'en fous de leurs viscères, je veux voir leur visage. ça me fait me sentir vivante de me dépècher aux urgences et je déteste plus que tout attendre quarante minutes entre deux blocs parce qu'on doit sortir le premier patient-laver-stériliser-rentrer le second patient-l'endormir. Je veux retourner en consultations, je veux voir des émotions, je veux essayer de rassurer (ou appeler le chef pour rassurer, soyons honnêtes), je veux me faire engueuler parce qu'on prend le temps d'expliquer, je veux voir des patients repartir soulagés, je veux pouvoir p-a-r-l-e-r. [plus que cinq mois]